La mort dans le coeur,
L’épouvante dans les yeux,
Ils se sont élancés de la tranchée.
En cette veille de commémoration, hommage à Julien Vocance (1878-1954) et à ses milliers de compagnons de tragédie qui, entre 1914 et 1918, furent enrôlés, alors qu’ils n’avaient rien demandé, dans ce terrible carnage appelé la Grande Guerre.
Joseph Seguin prendra le nom de Julien Vocance (en attachement à Saint-Julien Vocance – village ardèchois) pour publier « Cent visions de guerre » au retour de celle-ci. Le haïku qui précède fait partie de ce recueil.
Il émane de ce tercet toute la sidération des soldats exhortés à sortir frénétiquement du boyau fangeux qui leur servait d’abri pour se ruer à découvert sous le feu nourri du camp adverse. Comment ne pouvaient-ils pas avoir le goût de mort au bord des lèvres et ne pas ressentir que, pour eux, cette nouvelle offensive serait peut-être la dernière ? Comment la peur pouvait-elle être surmontée à l’heure où dans la course folle vers l’adversaire, le moindre écart pouvait-être fatal ?
Malgré le feu adverse, la pluie, la boue, la faim, la peur, jour après jour, Julien Vocance noircit son carnet de haïkus, celui-là même qu’il tient serré sur son coeur lorsque la fatigue et le froid ont raison de sa conscience. L’instantanéité du haïku prend ici une toute autre dimension. Les écrits de Vocance, ces brèves de vie dans l’au-delà de l’horreur, provoquent encore et presqu’un siècle plus tard, la chair de poule.
Précurseur en tant que haïjin dans notre pays, Julien Vocance à travers ses haïkus aura aussi été un acteur et témoin admirable.
La mort dans le coeur,
L’épouvante dans les yeux,
Ils se sont élancés de la tranchée.
Lire et relire ces lignes aux générations qui se succèdent : la poésie c’est aussi un cri.
Jean Le Goff
10 novembre 2012
NB : Le texte de Julien Vocance est extrait du site : L’esprit du haïku : haikus d’autrefois – Julien Vocance
Ces haïkus sont vraiment poignants. Merci, Jean !
Quatre trombes de fumée noire,
Dont tout le sol est ébranlé!
Où tombera la prochaine bordée ?
Julien Vocance, « Cent visions de guerre »
Gris le ciel, grise la mer. 11 novembre couleur plomb avec juste un rai soleil, comme un reflet
sur d’autres passés
Très envie de découvrir Julien Vorance que je ne connais pas
Merci
oui, Jean , le haiku ici donne toute sa force
l’instantané
l’émotion
le témoignage
je suppose (enfin c’est comme cela que je le ressens ) que l’auteur ne pouvait imaginer se lancer dans un roman alors même que la mort pouvait le « tirer au sort » à la fin de son haïku .
laisser trace pas à pas
l’instant présent toujours
et les sens , la réalité
toujours dans le recueil « Cent visions de guerre » de cet auteur :
« Un trou d’obus
dans son eau
a gardé tout le ciel »
merci Jean
Merci Jean, pour ce rappel.
Il me fait penser à un autre haïkiste de la même époque qui pleurait les mêmes évènements de 1914-18 : René MAUBLANC (1891-1960) :
Mes amis sont morts
Je m’en suis fait d’autres
Pardon…
(19-20 juillet 1917)
(Voir : http://www.dominiquechipot.fr/haikus/fiches/Maublanc.pdf )
Bon week-end à toutes et tous.
Dông Phong