Le voyageur immobile
portant une femme
pour traverser la rivière
la lune voilée
Masaoka Shiki (1867-1902)
… belle image, proposée en ce mois de juillet, propice aux jeux d’été.
De quel processus relève l’association du mot « femme » avec celui de « lune » pour créer une atmosphère romantique ? Mystère … On en viendrait presque à évoquer le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (1564-1616) si ce n’est que ce tercet de Shiki relève du réel et non pas du rêve.
Ce tercet donnerait à penser que l’oeil du Maître n’a pas la même texture que celui de ses contemporains. Il ne serait pas sensible aux mêmes images, il voit, certes, mais c’est tout autre chose. L’image renvoyée par l’eau de la rivière n’est guère accessible à celui dont la réceptivité est amoindrie. « Portant une femme… la lune », il fallait la voir dans le courant de l’onde pure, y penser, puis s’employer à retranscrire l’observation dans la forme d’expression minimaliste qui caractérise le haïku.
Pour parenthèse, cette oeuvre est également indémodable. L’art du haïku traverse les époques sans la moindre once de désuétude. Ce tercet constitue un exemple d’une forme d’expression qui perdure au-delà des modes.
Ce haïku, s’il une prise directe avec le réel, n’en a pas moins pour qualité de transporter son lecteur vers un monde clair-obscur et où tous les sentiments peuvent émerger. Le haïjin est un voyageur immobile, de l’instant présent il fait son miel, grâce à cela, l’évasion est à portée de main.
Jean Le Goff
24 août 2013
Bibliographie :
Shiki, le mangeur de kakis qui aime les haïkus. Poèmes choisis et traduits par Cheng Wing fun et Hervé Collet. Edition augmentée Moundarren, chemin des bois, Millemont. 2007. 120 pages.