» LE SACRE DU PRINTEMPS »
En guise de prélude au printemps en ce jour qui précède son arrivée, permettez-moi d’évoquer YOSANO Akiko (1878 – 1942) souvent considérée comme la plus grande poétesse du Japon moderne. Yosano Akiko (le patronyme devance ici le prénom), incarne d’une certaine manière le jaillissement d’un printemps dans la poésie japonaise.
C’est par un recueil qu’elle intitula « Cheveux emmêlés », paru en 1901 que sa notoriété émergea. Cette oeuvre est considérée aujourd’hui encore, comme un classique regroupant, non pas des haïkus – une fois n’est pas coutume – mais 399 tankas, ces poèmes de 31 syllabes (5/7/5/7/7) anciennement dénommés waka et frères aînés des haïkus.
Comme Shiki pour le haïku, Yosano Akiko contribua avec Yosano Tekkan (son époux), à renouveler le genre en lui apportant un surcroit d’audace alimentée par sa jeunesse, ses exaltations et ses déchirements, puisqu’elle l’écrivit à l’âge de vingt ans.
Enfant de vingt ans
Dont ruissellent sous le peigne
Les longs cheveux noirs
Tant de beauté il y a
Dans le printemps de l’orgueil !
Vous l’aurez pressenti, ce livre est largement d’inspiration autobiographique et le printemps y culmine à chaque page :
– printemps des amours
– printemps de l’existence – printemps de la nature : » …Rose tendre la pivoine / Rouge écarlate son coeur » – promesse d’épanouissement : » … Sur son front la frange / Baignant dans le doux nuage / De ce matin parfumé » – printemps de liberté : » … Pagode du soir / Dont je vais faire un poème / Sur les ailes d’une colombe »
Hymne à la jeunesse, la passion, la rêverie, la contemplation, « Cheveux emmêlés » est la première oeuvre japonaise moderne donnant libre cours au bonheur au féminin. Rompant avec les canons classiques de l’effacement, cet ouvrage révolutionne le monde littéraire à sa sortie, au point d’être qualifié de sulfureux.
Une femme prend la parole :
Début du printemps
Pour ces deux jours à Kyôto
Seuls dans la montagne
Où mes cheveux emmêlés
Défient les fleurs de pruniers
Les cheveux emmêlés, titre de l’oeuvre, désignent le désordre sentimental qui habite la poétesse. Plus que les fleurs de cerisiers, d’un rose pâle, elle privilégie celles de pruniers au rouge intense, ou comme nous l’avons vu, celui des pivoines. La symbolique des couleurs est très prégnante dans les vers de Yosano Akiko.
A certains endroits du recueil, la dimension autobiographique de l’oeuvre est renforcée par l’enchainement de plusieurs tankas à la manière du renga, sommairement désigné comme un poème en chaine.
Par ailleurs, Yosano Akiko fait allusion directe à de glorieux aînés dans son oeuvre : Li Baï (701-762) fut l’un des grands poètes chinois, Ono no Komachi, poétesse japonaise du IXème Siècle que nous avons évoquée le 14 février dernier dans cette rubrique, Otagaki Rengetsu (1791-1875), potière, peintre, calligraphe et femme de lettres japonaise qui à la mort de son mari se fit nonne et Murasaki Shikibu (978-1014) surnom d’une dame de la cour et auteur de Le dit du Genji.
« Cheveux emmêlés » est synonyme du sacre du printemps et Igor Stravinsky ne m’en voudra pas d’avoir emprunté ce titre à son ballet crée il y a juste un siècle. Comme pour ce dernier, une débauche de vitalité, un parfum de scandale, une révolution en marche accompagnent le recueil.
Yosano Akiko rompt avec un certain académisme ; avec ses tankas, elle met le cap sur une renaissance, celle du printemps.
Jean Le Goff
19 mars 2013 veille de printemps.
Bibliographie :
Cheveux emmêlés de YOSANO Akiko. Traduit du japonais par Claire Dodane. Editions Les Belles Lettres. Paris 2010. 192 pages.